Lutte contre la déforestation au cœur du Bassin du Congo. Paysage de Yangambi, poumon du monde en réanimation (2)

Financé toujours par le Rainforest Journalism Fund (RJF) en partenariat avec Pulitzer Center, le présent article est une suite d’un reportage dont LA PREMIERE PARTIE a été publiée il y a plus d’une semaine. A califourchon sur le fleuve Congo, le paysage de Yangambi est très connu pour la Réserve de Biosphère de Yangambi, qui serait devenue une sorte d'Eldorado vert.

L’agro foresterie autrement (suite)

L’agro foresterie autrement, c’est aussi du bois pour mettre en marche l’usine de production d’électricité illustrée à gauche (ph. Journal Karibu).

De la multitude d’espèces replantées dans le paysage de Yangambi, l’acacia présente un intérêt particulier pour les communautés locales. D’ici là, elles auront un débouché sûr pour la vente du bois d’acacias. Alain Gueriau est un ingénieur français travaillant pour Resources and Synergies Development. Alain s’occupe à créer une usine de cogénération, comme on dit, qui va servir à l’alimentation de l’électricité rurale d’ici décembre 2022. En attendant que le générateur arrive de l’Allemagne via la France, l’heure est au stockage de la biomasse :

« Ça tournera à la biomasse du bois d’acacias, découpé, broyé, tamis, séché à nouveau et stockés dans des racks, assure Alain Gueriau. Avec une capacité de broyage d’à peu près 10 stères de bois d’acacias, soit 10 m3 par jour, on peut obtenir 200 m3 de biomasse. »

C’est le moins qu’Alain puisse souhaiter à une cité qui manquait de tout.  Il a travaillé sur une usine hydroélectrique de 27 mégawatts à Madagascar. Comme dans les villages de là bas, il s’imagine bénéfice que ça donnerait aux écoles, hôpitaux et tout ce qui va avec, comme par exemple, aux enfants qui font beaucoup de devoirs le soir au lieu d’avoir la bougie sans compter d’énormes avantages économiques et ruraux.

Une autre trouvaille expérimentée par Principe, c’est l’association de l’arbre à chenilles à plusieurs autres, à 17 km au nord de Yangambi. L’ancien verger de Ngazi mesure 56 ha. Il date des années trente. Deux événements ont précipité sa déchéance : l’indépendance de la RDC en 1960 et les conflits armés des années 90. Les paysans en ont profité d’une manière que déplore Guy Venant, chef de l’antenne horticole de l’INERA.

« L’association talis-arbres fruitiers est une première expérience jamais réalisée ici. Les gros arbres que vous voyez là, ce sont les vestiges de ce verger. Il y a eu un laisser-aller pendant la guerre. L’espace a été transformé en champs de cultures sur brûlis. »

Depuis avril 2021, Principe et Guy Venant travaillent sur un hectare à planter côte à côte ou séparément des arbres fruitiers, arbres à chenilles et des Afromosia en expérimentant la méthode scientifique dite de Nelder. Principe et son associé expliquent qu’il va s’en suivre une étude du sol pour s’assurer d’un bon reboisement. Avant l’indépendance, les fruits du verger était vendus à Yangambi et à Kisangani. A l’époque, la cité de Yangambi comptaient quatre cents expatriés pour la plupart des cadres et travailleurs de l’INEAC. Les populations autochtones étaient constituées de travailleurs recrutés dans toute la colonie et qui vivaient dans des camps. On peut aussi voir aujourd’hui ces camps, délabrés et rafistolés par la descendance.

Les agriculteurs ont aussi droit à des plantules de safoutiers et arbres à chenilles. Le safoutier (RDC) ou prunier (Cameroun) ou encore atangatier (Gabon), sont prisés comme sources de protéines et de revenus. Dites mbinjo en langue locale, les chenilles sont largement consommée par les populations de la forêt du bassin du Congo en général et de la province de la Tshopo en particulier. L’arbre à chenilles est aussi connu pour ses planches en bois de qualité. La cueillette des chenilles mobilisent des familles entières à la campagne. Dans les villages, les élèves sèchent les cours pour cette raison.

Que ce soit pour les plantations que pour les autres activités, l’approche reste d’y aller aussi bien par des expérimentations, l’observation, les consultations que par l’appel à l’expertise extérieure. Il s’agit pour le responsable du projet de s’assurer une réussite dans la durée. Paolo Cerutti croît n’aboutir à rien sans le très long terme :

« Pas de solution durable sans engagement sur le long terme, estime Paolo.  On aboutit à rien si le modèle, le test n’est pas fait et refait et répété, on apprend des erreurs, on recommence sur au moins 10, 15, 20 ans. Ça n’arrivera jamais que ce que vous faites à Yangambi peut être copié-collé à Yanonge ou à Bengamisa. Ça doit toujours avoir cet effort d’adaptation locale. »

CIFOR fait partie des organisations environnementales qui font en sorte que, d’ici vingt ans, l’INERA soit capable de nourrir la RDC grâce aux recherches agronomiques et forestières. Certes depuis longtemps, l’institut fournit déjà, aux particuliers comme aux organisations environnementales, de la semence  améliorée de cacao, riz Nerica, manioc, café. Il s’agit cependant pour CIFOR de travailler à produire des plantules de qualité égale avec la structure des coûts que cela implique. Depuis bientôt cinq ans, le père combonien italien Vittorio Farronato dirige la paroisse Sacré Cœur de Jésus de Yanonge. Il témoigne de l’arrivée des organisations environnementales à l’époque :

« Disons que Yanonge était uniquement un lieu de passage. Nous avons eu plus tard le passage de CIFOR. Et moi, j’ai dit pardon, je suis le curé. Dans la bible, il est écrit que ce n’est pas par hasard que vous êtes passés par ici. Ce sont les paroles d’Abraham aux trois visiteurs. Donc ils sont restés pour nous écouter un peu. Ils ont fini par décider de créer une base de travail à Yanonge. Après, CIFOR a fait beaucoup de pépinières. »

Les initiatives des cinq dernières années sont aussi une occasion d’échange d’expériences. L’exemple significatif remonte en 2020, lorsque FORETS, inspiré par Enabel à Yanonge, avait soutenu et formé des pisciculteurs en 2020. CIFOR n’avait pas tardé à offrir des alevins aux piscicultrices de Yanonge au départ soutenues par la Coopération Technique Belge. L’adhésion à l’agro foresterie et la pisciculture à Yanonge est passé de huit femmes en 2017 à trente femmes en 2022. Inversement, Principe se rappelle avoir discuté avec la Coopération Technique Belge sur la production de miel. Paolo se dit ne pas être la bonne personne pour juger si le vase clos avait prévalu avant son arrivée. Il affirme cependant avoir discuté avec d’autres projets opérant dans le paysage de Yangambi.

« On s’assoit avec les organisations pour éviter la redondance. Le manque de synergie peut avoir un impact négatif sur les mêmes populations ou sur l’environnement où ils travaillent tous. Les discussions sont bien avancées avec les organisations locales qui travaillent dans la REDD. »

Fermes écoles pour apprendre en agissant

Les premières expériences agro forestières dans la province de la Tshopo remontent à plus de vingt ans. L’actuelle approche semble relativement assez bien réussie. Les organisations initiatrices comptent propager l’expérience à travers les résultats des recherches scientifiques menées dans les fermes pilotes, les plantations et le laboratoire de biologie de bois. D’après Principe, ces modèles s’affirment comme des boucliers efficaces contre la déforestation à l’échelle nationale, pourquoi pas continentale.

Les nouvelles pratiques agricoles sont une somme d’activités qui commencent par les pépinières en passant par la transplantation dans deux fermes pilotes à Yanonge et Yangambi, qui servent d’écoles à l’initiation des communautés locales. La sensibilisation est permanente dans et en dehors des fermes écoles de Yangambi et Yanonge. Des dizaines de gens y sont invités deux ou plusieurs fois par semaine pour observer les résultats d’anciennes en comparaison avec de nouvelles pratiques. On y apprend le plus d’options agricoles possibles, de l’agro foresterie à la rotation des cultures en passant par la fertilisation du sol avec le fumier de porc. Le projet a engagé un vétérinaire pour l’entretien de la porcherie au sein de la ferme pilote. Tout ce que font les communautés locales avec l’aide des forestiers est au préalable une expérience réussie. Les responsables sont aussi des chercheurs. Ils sont chargés de produire des publications scientifiques basées sur les résultats obtenus dans les fermes et les champs des paysans. Baku Di Malonda, le technicien de plantation, explique que les fermes ont pour but de montrer comment éviter la monoculture et l’agriculture itinérante sur brûlis :

« Nous voulons amener les gens à la sédentarisation. C’est-à-dire l’agriculture sur un seul endroit pendant très longtemps. Moi-même, j’y suis parvenu. Depuis 2019, j’en suis à ma quatrième saison culturale sur place dans la ferme pilote de Yangambi. Alors pour fertiliser le sol, nous avons choisi l’agro foresterie avec des acacias. Nous y ajoutons les excréments de porcs dont l’enclos se trouve derrière moi. Avec toutes les rotations possibles, on peut faire 15 ans au même endroit. »

Laboratoire de biologie du bois, aide à l’agro foresterie

Fait de briques à compression et de conteneurs, le Laboratoire de Biologie du Bois est une institution de recherche dirigée par Nestor Luambua, jeune doctorant à l’Université de Kisangani. Vêtu d’une blouse blanche à manches longues, il explique l’apport du laboratoire dans le processus de reboisement.

« Nous étudions la croissance des arbres. Par exemple pour le bois énergie, on a besoin des espèces à croissance rapide à côté des milliers d’espèces dans nos forêts. C’est au laboratoire de déterminer si la croissance des espèces est lente ou rapide. »

Le laboratoire comprend un atelier avec beaucoup d’objets dont des armoires métalliques, des câbles aussi petits que gros comme deux doigts. Sur ordre de Nestor, un jeune en salopette bleue met lunettes, des gangs en caoutchouc, masque, écouteurs et se met à la manœuvre. La ponceuse se met à gronder au raz d’une charpente filiforme. Nestor explique :

 

« La lecture des cernes se fait à l’ordinateur. La ponce prépare la surface de lecture en microscope. Plus il ponce ce barrot, plus les cernes deviennent nettes. Chaque cerne représente un an d’âge. Si vous remarquez sur ce disque... nous avons à chaque fois fait des traits à la limite des cernes de croissance. Jusque-là, nous avons déjà traité d’une dizaine d’espèces parmi elles l’acacia. »

Les barrots sont de grosses rondelles de troncs d’arbre stockées dans un hangar couvert avec des bâches. On s’abstient de les prélever directement sur la forêt. Nestor les obtient auprès des exploitants industriels. Après l’atelier, on passe dans la pièce qui héberge les microscopes. Il faut se déchausser. C’est une pièce calme comme à l’hôpital. Debout devant une table garnie, un jeune en blouse blanche et gang de caoutchouc bleu manipule des objets. Après une brève explication, la salle de lecture s’ouvre sur trois choses principales : un ordinateur géant, un microscope et une sonde reliée au microscope. Nestor branche le dispositif, ajuste la sonde sur la surface d’une rondelle et les cernes apparaissent à l’écran. Après plusieurs ajustements, celles-ci apparaissent plus nettes que jamais. Il explique en montrant du doigt :

« Les limites des cernes de croissances ne sont pas visibles à l’œil nu. En fait, pour l’Afromosia, vous voyez ce qui limite les cernes de croissance, c’est cette petite ligne qui descend par là et qui continue comme ça, ainsi de suite. Cette petite ligne, nous l’appelons une fine bande de parenchyme marginale. [Ndlr : Les parenchymes sont des tissus qui se forment à la limite des cernes]. Le nombre de cernes nous renseignent sur l’âge de l’arbre. »

A la longue, le Laboratoire de biologie du bois doit être à mesure de lister les espèces à croissance rapide capables de vite séquestrer le carbone. Selon lui, les personnalités du monde apprécient beaucoup le travail fait. Sur le mur, on voit des photos dans lesquelles les gens regardent par le microscope. Le laborantin présente des ministres congolais, les ambassadeurs de la Belgique, l’Allemagne, la Suède, l’Union européenne.

Crédit carbone, une marchandise particulière

À côté des produits des champs agro forestiers, du miel, des plantations et du bois énergie, on trouve ce qu’on appelle le crédit carbone, qui est un marché d’un genre particulier. La marchandise se rapporte à la quantité de carbone que les forêts sont à même de séquestrer. La mesure des échanges de gaz entre les forêts et l’atmosphère se fait par la tour à flux et les placettes.

Le crédit carbone est une unité équivalente à 1 tonne de CO2 évitée ou séquestrée. S’il respecte certaines conditions, un projet de plantation d’arbres qui permettra de séquestrer 10.000 tonnes de CO2 pourrait donner lieu à l’attribution de 10.000 crédits carbone.

Erigée en octobre 2020, la tour à flux dite Congoflux est une première. Bien qu’il en existe environ six cents dans le monde, elle étudie la deuxième plus grande forêt tropicale dans le monde. Sa charpente métallique de plus de cinquante mètres, installée au centre de la RBY est une trouvaille technologique capable de mieux calculer les échanges entre l’atmosphère et les forêts de la région d’Isangi. D’après Pascal Boeckx, professeur à l’Université de Gand et directeur de la tour à flux, l’appareillage est notamment constitué d’un anémomètre et d’un analyseur :

« Nous avons divers instruments sur la tour, mais les deux composantes essentielles sont un anémomètre, qui mesure la direction du vent dans trois directions, puis nous avons un instrument qui mesure la concentration du CO2. Avec ces informations, nous pouvons calculer la quantité de CO2 qui entre dans la forêt par séquestration et la quantité de CO2 qui quitte la forêt par respiration... »

Les parcelles d’arbres servent aussi à mesurer les échanges entre les forêts et l’atmosphère. La méthode est employée par les organisations environnementales de CIFOR-ICRAF et LECAFOR.  Selon Jean-Rémy Makana, directeur de LECAFOR, il s’agit d’évaluer autrement les actions de lutte contre les changements climatiques :

Crédit carbone, la mesure sûre dans le paysage de Yangambi, RDC - Interview avec JR MAKANA

 

 

 

« Une façon d’évaluer, c’est de suivre soit la dynamique du couvert forestier. On peut ainsi voir si l’on a protégé telle superficie de forêt, on a pu épargner l’émission dans l’atmosphère de telle quantité de carbone.»

A Yangambi, Principe et son équipe se chargent aussi de suivre les acacias plantés pour s’assurer de ce qu’ils appellent la dynamique. Le travail de l’équipe commence de bon matin dans une plantation. La mesure  des jeunes acacias se fait chaque trois mois. Après, explique Principe, interviennent des calculs bien précis.

« Les équations allo métriques nous aident à déterminer réellement quel stock de carbone ces plantations ont généré dans le paysage de Yangambi. Cette étude est d’ailleurs plus importante pour le projet... d’ici fin décembre, un article doit sortir sur la capacité de carbone que ces plantations ont généré. »

La plus grande forêt au monde se trouve en Amazonie. La deuxième en RDC. Alors que ses forêts captent quatre fois plus de carbone, la RDC peine à s’affirmer sur le marché du crédit carbone. D’après, Jean-Rémy, ce genre de mesure manquait à la RDC pour se faire valoir sur la base des informations fiables. Il pense qu’en guise de compensation pour la protection de ses forêts, le pays doit quand même bénéficier des fonds de la communauté internationale.

Date de dernière mise à jour : jeudi, 22 décembre 2022