Bafwasende. CEBioS découvre des communautés pauvres sur une chaise en or

RDC. Province de la Tshopo. A court terme, on peut être assuré que les communautés locales utilisent les ressources forestières avec modération. Des chercheurs du programme CSB-CEBioS (Stratégies pour la biodiversité et le développement durable) ont conclu ainsi au retour d’une mission dans une dizaine de villages au nord-est de Kisangani dans le secteur Bekeni-Kondolole, en territoire de Bafwasende.

Retour sur cette mission qui a mobilisé une trentaine de chercheurs, une équipe de logistique et un journaliste…

Du 29 octobre au 13 novembre 2019, le village de Bafwakondima, 172 km, sert de camp pour les équipes spécialisées dans la  végétation, les poissons, reptiles, ravageurs des plantes, petits et grands mammifères, viande de brousse et zoonoses (maladies se transmettant de l’animal à l’homme). L’heure est à l’observation de la flore et de la faune et à leur usage par les communautés locales.

« Il suffit de peu pour qu’ils vident nos rivières », s’indigne un guide autochtone émerveillé devant le nombre de poissons coincés dans les mailles des filets des chercheurs. Un autre tâte le filet en se vantant : « Notre manière de pêcher est bien meilleure ». « Quelle manière ? », s’enquiert le journaliste. « Du poison à poisson ». Les Bali n’aiment pas beaucoup la pêche. Lorsqu’ils s’y mettent, ils utilisent la nasse faite de branches et la pêche à la nivrée, qui consiste à répandre dans la rivière une substance tirée des plantes vénéneuses. Le poison tue également tous les petits poissons. Une technique polluante dont l’effet sur l’environnement n’a pas encore fait l’objet d’étude. Pour le professeur Célestin Danadu, le seul fait d’utiliser les produits ichtyotoxiques présente un danger pour l’environnement.

Pose des filets les après-midi, retrait les matins, en plus de quelques espèces des poissons, les nasses ont permis de capturer crabes, crevettes, tortue et potamogales. De la taille d’un gros rat et muni d’une longue queue épaisse et aplatie sur les côtés, le potamogale se nourrit essentiellement de poisson. La grande menace viendrait de l’usage du poison à poisson, qui extermine poissons, crabes et crevettes. Si l’organisme de tortues et des grenouilles peut résister, rien n’est moins sûr sur leur état de santé. L’Attaché de recherche au CSB, Michel Komba explique que le poison tue également tout ce dont se nourrit le poisson et met en danger l’homme qui mange de ce poisson.

Moins dangereux, c’est aussi ce dont le Chef des Travaux Jean Bakondongama dit des criquets puants que reconnaît un septuagénaire de Bebendu, 168 km, au nord-est de Kisangani.  Selon Bakondongama, l’insecte se nourrit des plantes sans représenter un réel danger. Le chercheur mène une étude sur la perception et les pratiques de lutte contre les criquets puants dans la région de Kisangani. A ce propos, les habitants font peu de cas de l’insecte dont le chercheur a capturé deux échantillons sur place.

 

" Globalement, les populations nous ont dit qu’elles sont en train de perdre leur faune. Contrairement à ce qu’elles observaient  il y a longtemps, c’est-à-dire elles utilisaient seulement le gibier pour leur subsistance. Aujourd’hui, le gibier est en train de subir, pour utiliser leurs propres termes, un massacre... Il y a des personnes qui peuvent tuer en une nuit ce que l’on pourrait tuer en six mois…"

Prof O. Mubenga

 

Sur le long terme, le pire est plutôt à craindre des insectes dits ravageurs des plantes.  Le professeur Onesime Mubenga et l’assistant Crispin Lebisabo en ont découvert quatre espèces dans les tiges de maïs. A première vue, tous les champs visités présentent des plantes aux feuilles jaunies délavées et pendantes à des tiges  étriquées retenues par des racines qui sortent de la terre.

Ces insectes peuvent  détruire des champs en entier. Dans une surface relativement réduite, la trouvaille du prof Onesime et son assistant ne laissent aucun doute : par exemple cette tige de maïs rongée de l’intérieur par 6 chrysalides et 2 chenilles. A cela s’ajoutent des pratiques culturales traditionnelles au mépris du calendrier agricole. « Des champs à proximité et les semis en des moments différents facilitent la migration des insectes ravageurs », explique le prof Mubenga. Le passage des vieux champs vers des nouveaux permet à ces insectes de vite se nourrir. « Le plus grand danger consiste en ce que leur nombre va s’accroître », conclue le prof Mubenga. Il en est de même des champs de riz, des racines, des bananiers comme des plantes sauvages.

Quant à l’équipe bushmeat (viande de brousse) et zoonoses

(maladies contagieuses des bêtes à l’homme), des prélèvements ont été effectués sur des carcasses de singe, potamogale, pangolin, serpent et musaraigne-éléphant (apeba en langue bali). Deux espèces de tiques ont été trouvées sur ces deux dernières. L’équipe conduite par le Chef de Travaux Casimir Nebesse craint des risques de contagion à l’homme, certes minime, mais à redouter sur le long terme vu l’ignorance des risques et du moyen de s’en prémunir.

L’équipe des mammifères est scindée en petits et grands mammifères. La première s’investit dans les environs immédiats jusqu’à trente minutes de marche pour poser trois sortes de pièges ( pitfall, victor et sherman). A part plusieurs espèces connues de musaraigne, les pièges attrapent également des araignées géantes.

Les inventaires faune et flore se déroulent dans les forêts d’âges et types divers situées entre les rivières Lindi (territoire de Banalia) et Tshopo (territoire d’Ubundu). Selon l’équipe de botanique, les forêts de Bafwakondima présenterait « une densité » jamais égalée dans les végétations autour de la ville de Kisangani que « seules des études approfondies peuvent expliquer ».

 

Un magazine radiophonique, Biodiversité et Nous, a été produit par CEBioS sur les antennes de la Radio Flambeau de l'Orient. Elle était réalisée, montée et présentée par Jean Fundi, 

 

De la présence abondante des rotins et de gros makungu (Marantacées), les autochtones n’en tirent que l’essentiel pour les emballages et la construction des cases. L’agriculture itinérante sur brulis n’entame pas encore l’intégrité des forêts. D’où, par exemple, « l’idée d’envisager des champs pilotes pour les encourager à réutiliser les jachères », estime Malombo Tshimanga, assistant de recherche au CSB. Les chercheurs en veulent pour preuve la maigreur des repas et la proximité des forêts avec des jachères moins spacieux.

Étant donné la conscience locale, on peut encore sauver les forêts de Bafwakondima. A part la sensibilisation qui commence dès décembre 2019, d’autres initiatives sont possibles : valoriser le potentiel agricole et libérer les communautés locales de la peur de l’invisible. « Vous osez construire quelque chose de grand ici, ils vous mangent ». La phrase se récite dès que vous parlez de développement dans le territoire de Bafwasende. Les Bali font ainsi allusion aux sorciers.

 

Pourtant le potentiel ne manque point. A cinq kilomètres de Baego, 147 km, chef-lieu de secteur Bekeni-Konkolole, un agriculteur de l’est entreprend avec succès une plantation de cacao dont il vend les récoltes à l’étranger. Elle aussi de l’est, une ménagère du village Ngelingeli, 173 km, plante avec succès des tarots, des épinards, du cacao… Certaines familles bali s’essayent aussi avec succès, mais sur de très petites platebandes, dans la nouvelle culture des ciboules. Des nouvelles cultures qui s’ajoutent à la gamme  traditionnel de manioc, banane plantains, banane fruit et riz.

Jean Fundi Kiparamoto, +243 851 641 833 - journalkaribu@gmail.com 

 

Date de dernière mise à jour : samedi, 25 avril 2020