Kisangani, 30 novembre 2018. Nous sommes sur la rive gauche du fleuve Congo, à Lubunga, l’une des six communes de Kisangani, chef-lieu de la Province de la Tshopo. La commune toute seule privée de presque tout : l’électricité n’y est que samedi et dimanche dans la journée, pas d’eau potable, chaque matin vidée de presque la moitié des habitants pour la rive droite où se trouve presque tout, pour ne revenir que le soir, les pirogues motorisées faisant la passe jusque très tard la nuit.
« Il n’y a pas de sot métier », c’est la phrase que répète le personnage principal de Modèle à suivre, qui raconte sa vie de jeune métis, ancien aide-mécanicien devenu propriétaire des camions. Contrairement à bien d’autres avant et après lui, le septuagénaire connu sous le nom de Papa Amboko a refusé de quitter sa commune chérie. « Je resterai ici toute ma vie et s’il faut construire, c’est ici que je le ferai », s’indigne Papa Amboko. L’histoire de Papa Amboko commence lorsque son père s’en va en Europe pour ne plus revenir. Il n’a pas la chance d’étudier. Il se résout à travailler comme aide mécanicien. Il apprend un peu de tout, mais s’intéresse particulièrement à la soudure qui lui permet des années plus tard de monter sa première charrette, ensuite sa deuxième et ainsi de suite. Sur la rive droite, il rachète une épave de camion qu’il pousse à la main jusqu’au gué. Une fois à Lubunga, « avec les recettes des charrettes », il achète une pièce après l'autre pour enfin monter son premier camion, marque Leyland, qu’il baptise « Charrette ya Lubunga » (charrette de Lubunga). De là, son deuxième camion, son troisième… Le seul et plus grand transporteur de la commune forme aujourd’hui des jeunes à l’ajustage et à la mécanique automobile.
Modèle à suivre, un film documentaire pour encourager, A demain ?, une fiction pour décourager : Franck Moka s’interroge sur l’avenir de la plupart des jeunes Lubungais. C’est le cas dans le film avec Albert Longange dans le rôle de Winner le gros adolescent, et Daniel Kaboa dans celui de JP le garçon de course, le préadolescent qui n’a pas connu son père. Après avoir demandé la charité, ils passent le clair de leur temps à jouer, à discuter sur tout sauf rien, à se droguer. Le film se dénoue sur une scène rocambolesque où Winner nie une grossesse avant que sa copine crie « au voleur ». Devant une foule survoltée, prête à l’assommer, Winner reconnaît : « Je ne suis pas un voleur, c’est une affaire de grossesse entre elle et moi ». La foule se calme, mais la question demeure : A demain ?. À la fin du film, l’acteur déclare devant une foule enthousiasmée : « Si seulement j’avais un petit boulot pour m’occuper de l’enfant à naître ».
Le centre culturel des Studios Kabako sur l’avenue Baraka grouille du monde : parmi les spectateurs, une douzaine de professionnels européens (directeurs de théâtre, responsables de festivals…), des artistes congolais de Kisangani, de Kinshasa et du nord, du public communal. A la fin, le public crie de joie en lisant à haute voix les noms qui défilent sur le générique fin. Donc, tout à l’initiative d’un fils de Lubunga : des scenarii inspirés de Lubunga, tournés par des jeunes de Lubunga, joués par des acteurs de Lubunga, ceux-ci ayant été recrutés après une formation dispensée par les Studios Kabako, des films projetés en premier au centre culturel des Studios Kabako à Lubunga. « ça prend encore plus de sens de découvrir, à travers les films, comment vivent les gens dans ce quartier », témoigne Marion Colléter, Conseillère à l’ONDA (Office national de diffusion artistique), avant d’adresser un « Vive la vie ! » à la foule d’enfants qui l’entoure.
La projection des films Modèle à suivre et A demain ? s’inscrivent dans le cadre d’une mission de recherche de l’ONDA (Office National de Diffusion Artistique) à Kisangani. La mission tenait à rencontrer les jeunes artistes boyomais et à découvrir le travail effectué par les Studios Kabako…
Par Jean Fundi Kiparamoto