Des bienfaiteurs ont défilé jusqu’à ce que vers les années 2014 surviennent une catégorie d’organisations environnementales uniques en leur genre. Il s’agit des représentations d’Enabel (Coopération technique belge) dans la cité d’Isangi, Tropenbos RDC à Yaoseko, CIFOR à Yangambi et Yanonge, Congoflux à Yangambi. Dans la cité de Yangambi, ces deux dernières ont une représentation beaucoup prononcée. On le voit à travers le camp Base Vie, nom consacré par le projet FORETS. Base Vie, le camp des travailleurs situé derrière la paroisse catholique Notre Dame de l’Assomption de Yangambi. Les villageois peuvent pour la première fois depuis plusieurs années vivre avec des employés venus d’ailleurs pour leur apprendre des choses. A voir le nombre de taxi motos qui connaissent ces endroits-là, on peut supposer que ses pensionnaires jouent un rôle dans l’économie des communautés locales.
Dans le temps, des projets étaient venus en aide aux populations. On s’interroge à présent ce qu’il est resté. La première moitié de la décennie avait été marquée par des projets aussi courts que limités en moyens et mis en œuvre d’une manière quelconque. L’arrivée des initiatives qui emploient à ces jours près de deux milles personnes doit avoir permis à la cité de se ranimer un peu, et cette reprise semble avoir développé particulièrement sur le beach le commerce des produits manufacturés, de la bière, du sel et du sucre. Le professeur Jean-Rémy Makana, directeur de LECAFOR (Laboratoire d’Ecologie et Aménagement Forestier), s’insurge contre les rumeurs selon lesquelles les communautés locales ne gagnent rien du tout :
« Ce n’est pas correct. D’abord, le fait de protéger ces forêts, c’est déjà un avantage pour elles qui vivent aux dépens des forêts. Généralement, les gens ne voient absolument pas cet avantage. Ils ne voient que l’argent comme si on allait manger l’argent. Le deuxième avantage, eh ! bien il y a l’argent. Les projets REDD arrivent avec des centaines de milliers de dollars pour appuyer l’agriculture durable, les activités alternatives génératrices de revenus. Après, il y’a l’emploi. Même si la plupart de ces organisations sont internationales comme ici la CIFOR, Enabel et toutes ces organisations belges, je pense qu’il y a beaucoup de bénéfices que les communautés locales et le pays dans l’ensemble tirent de toutes ces activités. »
A l’époque qui correspondait à l’arrivée de PRAPO, le capitaine d’une péniche se rappelle qu’on pouvait charger jusqu’à milles sacs de paddy sur les gués de Yangambi. Il se plaint à présent de charger à peine 200 sacs. Des commerçants témoignent avoir vu très peu de péniches, à défaut qu’une seule, qui accostaient un jour par semaine. L’arrivée des projets ces cinq dernières années semble avoir bougé les lignes, comme le témoigne Julien Liona, magasinier de l’unique menuiserie, installé au bord du fleuve au rez-de chaussée de ce qui fut le magasin de l’INEAC. Il nous reçoit dans son bureau fait d’un vieil ameublement, une table et trois chaises, dans un compartiment poussiéreux et plein des veilles machines inusitées. A côté, vrombit un générateur électrique. Un commerçant témoigne :
« Les embarcations pour la plupart des pirogues motorisées n’arrivaient que les dimanches. Ces derniers temps, on voit de plus en plus de péniches, mercredi et dimanche. A présent, nous en avons compté trois un mardi, une un vendredi et une le lendemain. »
Le marché de bourgade s’organise à l’intérieur de la cité, le Beach étant resté animé tous les jours de la semaine. Les revendeuses de toute chose s’entremêlent aux passagers des péniches, qui débarquent et embarquent en provenance et à destination des villes et cités riveraines en amont comme en aval du fleuve Congo. Ce qui bouge, c’est des boutiques en bois, plus grandes et achalandées qu’avant. Les boutiquiers sont parmi la grande clientèle de la menuiserie. D’autres personnes s’y servent pour le meuble et la charpente des maisons à domicile. Tout autant achalandés, des restaurants et bistrots de bière de brasserie font une bonne affaire.
De plus en plus de gens s’adonnent au petit commerce. Les témoignages ne manquent pas. C’est le cas de Dawisi Senga Lomalisa et Justine Fatuma. Avec l’argent qu’il gagne comme planteur forestier autochtone dans le projet FORETS, Dawisi s’est payé une machine à moudre le manioc et une à faire la pâte à chikwange qu’il a mis au service des maraichères dont sa propre mère, qui fabrique et vend des chikwanges, une sorte de pain de manioc écrasé, bouilli et empaqueté dans des feuilles de marantacée. La journée de visite prend fin chez Justine, observatrice en climatologie à l’INERA. En temps libre, elle fabrique du pain constitué à 80% de farine de froment et 20% de farine de manioc panifiable. Fai Collins travailleur pour CIFOR. Il est le responsable de la sensibilisation à Yanonge et Yangambi. Comme la plupart, il est domicilié à Base Vie. Il commande son pain à Justine Fatuma. « Avant, je devais faire la commande de Kisangani d’un lot conséquent qu’il fallait ensuite conserver au frigo », se réjouit-il. Désormais, Justine mélange la farine de froment avec de la farine de manioc panifiable produite à la ferme pilote.
La cité de Yangambi pourrait devenir la capitale du miel. Pour s’en convaincre, il suffit de voir comment se développe l’art d’élever les abeilles. En moins d’un an, la cité compte une Association des producteurs du miel de Yangambi (APROMY) dont la chaîne de production va de l’élevage à la table du consommateur. Après la formation et l’établissement à leur compte, les apiculteurs sont à même de conditionner du miel avant sa commercialisation grâce à la miellerie inaugurée le 27 octobre 2022. On consomme déjà du miel estampillé en région de Kisangani. La miellerie s’affirme comme l’étape finale d’un processus engagé entre l’organisation environnementale et une cinquantaine d’éleveurs d’abeilles.
Bref, on peut déjà s’imaginer ce que la cité de Yangambi dans le futur. Une entité avec plusieurs habitants, comprenant une centrale électrique, des commerces aussi diversifiés que florissants, un appareillage pour mesurer les échanges de la forêt avec l’atmosphère, une forêt à cent pour cent restaurée dans la mesure de ses vingt-cinq milles hectares. Il y aurait vraiment de quoi attirer du monde, si toute la vision se concrétisait, comme à l’époque immémoriale, en termes de verger, culture de palmiers, cacao, café, plus grand centre de recherche agronomique du pays, centre météorologique, plus grande institution supérieure d’enseignement en agronomie comme l’Institut Facultaire d’Agronomie de Yangambi...