Tshopo – Le Père Vittorio : “Yanonge ne sera plus demain le village d’aujourd’hui mais une petite ville” (CongoForum)

KISANGANI – Depuis deux ans et demi, le père combonien Vittorio Farronato, originaire de l’Italie, dirige la paroisse Sacré Cœur de Jésus de Yanonge, une entité ecclésiastique de l’Archidiocèse de Kisangani. Yanonge est une cité du territoire d’Isangi en province de la Tshopo se trouvant au bord du fleuve Congo à plus ou moins soixante-deux kilomètres en aval de Kisangani. Lors d’un tournage cinématographique pour le compte d’un partenaire, a pu interviewer ce curé qui voit dans la cité un carrefour en plein rayonnement. Il rêve d’une cité portuaire et moderne d’ici vingt ans.

Le père Vittorio Faronnato, Curé de la Paroisse Sacré Coeur de Jésus de Yanonge.

CongoForum : Vous avez une vision de Yanonge dans les cinq, dix, vingt ans à venir ?

Père Vittorio: « Yanonge ne doit plus rester un village de l’intérieur, un petit village au bord du fleuve Congo. La cité est déjà devenue la porte d’entrée vers l’intérieur du territoire d’Opala. Elle est également devenue la porte de sortie de tous les villages de l’intérieur du territoire vu que la route de Kisangani est totalement abîmée. Donc, l’avenir de Yanonge se dessine par une croissance démographique assez rapide et le besoin d’un grand avenir. Mais la sensation de blocage persiste. Il sera nécessaire qu’il y ait un petit port véritable parce que les bateaux de fleuve, les baleinières [ndlr : bateaux de fortune en bois], sont devenues nombreuses. Ces bateaux en bois sont même fabriqués sur place. C’est d’ailleurs pour cette raison que notre priorité reste celle-ci : la formation des jeunes, des possibilités de travail dans l’optique d’un développement, avant tout agricole et forestier, pour tous ».

CongoForum: Un rêve sans moyens ?

Père Vittorio : « Il y a avant tout des ressources humaines : beaucoup de jeunes courageux et débordant d’idées avec qui on se réunit bien. Il existe également un nombre important d’intellectuels qu’il faut séparer en deux catégories. Je le dis parce que certains avec leur salaire ne pensent qu’à survivre mais d’autres réfléchissent à l’avenir du Congo, l’avenir de Yanonge. Des désirs sont bien présents. La force intérieure aussi. Il y a au moins une bonne capacité de rencontre, de confrontation, de confiance réciproque. La faiblesse des ressources économiques est compensée par l’importance des ressources humaines ».

Enabel

CongoForum: En visite sur le domaine paroissial, on peut lire sur des écriteaux ici et là : Enabel (Coopération Technique Belge), EDUT (Appui à l’Enseignement Technique et à la Formation Professionnelle dans le district de la Tshopo), CIFOR (Centre pour la recherche forestière internationale), FORETS (FOrmation, Recherche, Environnement dans la TShopo), MKS. Qu’est-ce que ces organismes apportent concrètement à la paroisse en particulier et à la cité de Yanonge en général ?

Père Vittorio: « Disons que Yanonge au début n’était pas tellement visé. C’était uniquement un lieu de passage. Mais à certains moments il y a eu de la part d’Enabel un véritable engagement. Je dirais pour nous dans deux directions : la première direction est en rapport avec des jardins potagers, de cultures maraichères par des femmes réunies en petites associations locales. Et c’est très important soit pour les mamans comme telles soit pour les jardins parce que l’agriculture de grands champs est perdante : grande fatigue, peu de résultats, peu de dignité. C’est en partie pour cela que les jeunes se révoltent en coupant et rasant la forêt pour faire le charbon mais l’environnement en souffre ».

“La deuxième direction importante de l’engagement d’Enabel c’est la construction et la réhabilitation des écoles techniques pour filles et garçons. La coopération a octroyé en particulier des bourses d’études aux filles. Les écoles sont dotées de machines à coudre pour l’école des filles et d’outils appropriés en maçonnerie et en menuiserie pour les garçons. C’est très important de souligner qu’Enabel fait de plus en plus confiance à Yanonge, ce qui est une preuve qu’elle va s’engager davantage”.

“Nous avons eu plus tard le passage de CIFOR. Ils étaient vraiment de passage. Et moi, j’ai dit pardon, je suis le curé. Dans la bible, il est écrit que ce n’est pas par hasard que vous êtes passés par ici. Ce sont les paroles d’Abraham aux trois visiteurs. Donc ils sont restés pour nous écouter un peu. Ils ont fini par décider de créer une base de travail à Yanonge. L’engagement de CIFOR à protéger la forêt et à améliorer les revenus paysans a trouvé d’une part des forêts partout dans le  territoire d’Isangi … Mais en même temps, il y a un monde humain de collaboration, de dialogue, de confiance. Après avoir installé sa base, CIFOR a fait beaucoup de pépinières”.

“Avant les gens regardaient parce que c’est toujours un corps étranger qui entre, on se défend psychologiquement. De notre part comme une paroisse catholique, nous avons essayé de faire mûrir la confiance et grandir la capacité de rencontre et de confrontation. Maintenant la collaboration est bonne. Les gens sont contents et CIFOR est content. D’abord, ils ont commencé avec des arbres fruitiers à partir desquels on est passé à d’autres arbres comme l’acacia, parce que, pour faire le charbon, la population détruit la forêt et dans le contexte du changement climatique du monde, c’est déjà un danger. Au contraire l’acacia, qui est un bois dur à croissance rapide, donne d’abord de l’azote aux terres fatiguées et beaucoup de charbon après quelques années”.

“Dernièrement est arrivée aussi MKS qui a pris l’engagement de réhabiliter l’école agricole de ITA (Institut Technique Agricole). On a réhabilité le bâtiment de l’ancienne mission, après on a ajouté un bâtiment qui était une maison de poules. Ils ont dit non ce n’est pas possible de réhabiliter, il faut construire à nouveau. Je les ai pris à côté et leur ai dit : « Regardez comme la population des jeunes s’est multipliée. Nous avons besoin d’autres salles de classe. Est-ce que pour vous ce sera possible? Ils ont répondu oui. » Nous voyons que les organismes nous font confiance parce qu’ils ont trouvé qu’ici ils peuvent risquer sans peur, c’est-à-dire le succès est garanti pour eux grâce à la collaboration, au courage et à la cohésion sociale dans le coin”.

Méfiance

CongoForum: Après avoir observé des personnes étrangères sur leurs terres réaliser des œuvres, quelle est à présent l’attitude de la communauté locale ?

Père Vittorio: “Bon ! La première attitude, c’est la méfiance parce que le peuple a beaucoup souffert et continue à souffrir. Il faut penser à l’époque électorale, on a entendu beaucoup de promesses comme si c’était pour se moquer des gens. Ici, les gens sont habitués à ne pas faire confiance. Je crois qu’un des rôles de notre service missionnaire est de réveiller l’espérance qui nous soulève. Mais alors il nous faut des petites victoires qui donnent raison à l’espérance. Il faut de la confiance, et elle est en train de grandir, entre nous et les organismes”.

“Dans le temps, ceux qui étaient contents étaient ceux qui pouvaient trouver un travail par jour pour manger le soir. Mais maintenant tout le monde a commencé à rêver de Yanonge ya sika [ndlr : en lingala nouveau Yanonge] qui ne sera plus demain le village d’aujourd’hui mais une petite ville. Avec les habitants nous multiplions les rencontres, on s’écoute, on laisse voler les idées folles. Mais il y a déjà de choses qui se concrétisent. Les moyens financiers sont très limités. Mais, comme je disais avant et je souligne encore, il ya des ressources humaines qui sont la plus grande richesse que nous avons. Sauver l’Afrique par l’Afrique et ne pas sauver l’Afrique avec les dollars de l’étranger. L’arbre a ses racines sur place et donnera ses fruits ici”.

Les autorités locales

CongoForum: Comme toute contrée dans le pays, Yanonge est quand même dirigée par l’autorité administrative et politique. Qu’est-ce que vous attendez de cette autorité ?

Père Vittorio: « Disons qu’au niveau local, il y a la cordialité. Mais vous savez ! Nous sommes comme une maison, il y a toujours une brique plus haut. Et il y a un mauvais proverbe qui dit que kingo elekaka mutu te [ndlr : proverbe lingala]. Donc il ne faut pas poser des questions, il ne faut pas faire des observations. La peur dominante, l’esprit de servitude qui est dominant empêchent le courage, la franchise. Cet esprit empêche le rêve de se réaliser. La collaboration d’en haut, nous l’attendons encore. Mais nous demandons avant tout que ceux qui sont en haut se rendent compte que l’ancienne savane sèche a déjà brûlé, il y a des herbes nouvelles qui poussent et qui seront grandes”.

CongoForum: Vous avez un certain nombre d’initiatives. Quelle a été la réaction de Mgr Utembi Tapa quand vous lui en avez parlé ?

Père Vittorio: “Disons que Monseigneur l’Archevêque de Kisangani était surpris de voir la vitalité des œuvres déjà réalisées mais surtout la sensation de mouvement. On voit un peu partout dans le Congo cette stagnation qui pèse. Elle pèse parce qu’il y a une souffrance qui pèse, une humiliation qui devient un découragement. Donc, c’est difficile de mettre en mouvement un peuple ou une communauté. Ici, il a vu une humanité vivante, une église, disons, au visage souriant. En même temps, en voyant les œuvres réalisées et même si c’est presque parfois esquissées, il nous a vraiment encourages”.

“Nous lui avons demandé d’avoir nous-mêmes sur place notre comité technique et notre comité de gestion pour les œuvres qui regardent le diocèse. Sur place, nous sommes capables de réaliser les œuvres, de gérer d’une manière transparente toutes les ressources. Et lui a bien accepté de nous donner confiance”.

CongoForum: Sans ambages ?

Père Vittorio: « Non ! Non ! Non ! Content d’accepter parce que lui-même était quand même dans l’embarras. Le décalage entre les moyens disponibles et les exigences qui s’imposent tracassait aussi son cœur. Ici il a vu que nous faisons quand même beaucoup avec peu de moyens”.

​Missionnaire italien

CongoForum: «Pour terminer, vous vous buttez à quelques difficultés particulières malgré votre volonté, celle de la population et celle des organismes à faire rayonner Yanonge ?

Père Vittorio: “Je crois qu’il y a une véritable difficulté. Le peuple est en train de grandir pour être fier et rempli de dignité. Malgré tout, après trop d’années de déception et d’amertume, il n’y arrive pas encore. Missionnaire expatrié d’Italie, je le ressens comme une véritable offense lorsqu’on m’appelle mondele, muzungu [ndlr : en lingala et swahili homme blanc]. Quand ils me prennent pour un étranger arrivant avec un sac de dollars, je dis : « ddd  bandeko bosilika na ngai te Yesu peut-être akosi ngai nayebi te. Nazalaki mwa elenge boyo nayoki polele na motema alobi tika nyonso landa ngai. Ngai natikaki nyonso po na nini bosiliki te ngai naza na maboko pamba. » [ndlr: en lingala veuillez ne pas m’en vouloir. Jésus eût-il pu me tromper lorsque, dans ma prime enfance, j’entendis de l’intérieur de moi son appel à tout quitter pour le suivre, pourquoi m’en vouloir ?]

“On attend beaucoup de l’étranger, on n’aime pas l’étranger, on critique fortement l’étranger et l’histoire passée, on critique mais on demande toujours, c’est une contradiction. Cette attente, cette dépendance, cet esprit de servitude, je dirais, non ! non ! Ce n’est pas digne de notre humanité, de notre histoire qui est déjà véritable même si elle est en train de chercher son avenir”.

CongoForum: Père Vittorio, merci beaucoup.

Père Vittorio: “Merci à vous alors, de votre presence”.

© CongoForum – Jean Fundi Kiparamoto, 10.09.20

Images – source: CongoForum / Jean Fundi Kiparamoto

Date de dernière mise à jour : mercredi, 16 septembre 2020