Lutte contre la déforestation au cœur du Bassin du Congo. Paysage de Yangambi, poumon du monde en réanimation (3)

Suite et fin

Le présent article est la suite et fin des deux premières parties intitulée Agro foresterie autrement et Agro foresterie autrement (suite). Certes, les organisations environnementales se frottent les mains, vu le succès des alternatives à la déforestation. Cependant, des signes inquiétants demeurent du fait qu’une partie de la population continuent à pratiquer l’agriculture itinérante sur brûlis à des fins substantielles et commerciales. Bref, il reste à faire comme on va le voir dans les lignes qui suivent.

Rappelons-nous qu’avant l’arrivée de CIFOR, Enabel et Tropenbos RDC, la lutte contre la déforestation avait commencé dans les années 2009. Une ou deux ans après, les premiers projets gouvernementaux ont reçu des fonds destinés aux forêts du Bassin du Congo. Entre 2010 et 2014, beaucoup d’organisations environnementales ont travaillé dans le territoire d’Isangi, notamment dans le cadre du processus REDD+ ((Réduction des Emissions liées à la Déforestation et à la Dégradation des forêts). Parmi ces organisations, on trouve Jadora-Isangi, OCEAN (Organisation Concertée des Ecologistes et Amis de la Nature), la CTB (Coopération Technique Belge, aujourd’hui Enabel), exceptée le PRAPO (Programme de Réhabilitation de l’Agriculture en Province Orientale, 2008-2013), uniquement axé exclusivement sur la relance de l’agriculture, le reste avait pour vocation à la fois de réduire la pauvreté par de nouvelles pratiques agricoles et refreiner le déboisement. Les témoignages sont unanimes sur les facteurs d’échec et de réussite relative.

C’est le cas de PRAPO (Programme de Réhabilitation de l’Agriculture en Province Orientale). Même si le programme ne portait pas sur la lutte contre la déforestation, il avait pour objectif de réduire la pauvreté dans les zones où travaillent à présent CIFOR, Enabel et Tropenbos RDC. Sept ans après la fin du programme en 2013 financé par CAFI, les résultats sur le terrain sont presqu'en totale contradiction avec les objectifs du projet. Issomalambe Mbombo, ancien coordonnateur dans PRAPO, aujourd’hui enseignant à l’Université de Kisangani révèle dans son mémoire d’étude supérieure que l’échec était dû à la corruption, au recrutement politisé du personnel et à un programme ne correspondant pas aux besoins  des communautés locales. Même si son étude avait porté sur le territoire de Basoko attenant à celui d’Isangi, il estime que le résultat, 30% de réussite, s’applique à Isangi d’autant que le programme était dirigé par les mêmes gens et selon les mêmes méthodes sur les deux territoires. Mbombo se rappelle que le programme se limitait à distribuer des semences aux paysans en exigeant du métayage sans suivi ni conseils techniques aux bénéficiaires. Une désillusion pour un programme qui avait suscité tous les espoirs. Tout le contraire du rapport d’évaluation publié en 2016 par le bailleur des fonds. FIDA (Fonds International pour le Développement Agricole) se félicite d’avoir réussi à 70%.

A propos du processus REDD, des voix s’élèvent demandant à l’Etat de faire en sorte que l’argent destiné au processus puisse réellement servir à la lutte contre la déforestation. C’est également l’avis du professeur Jean-Rémy Makana, directeur du LECAFOR (Laboratoire d’Ecologie et d’Aménagement Forestier) :

« Je pense qu’au début il y a eu un processus d’apprentissage. On ne savait exactement comment faire. Mais avec le temps, les stratégies sont en train d’être raffinées et le gouvernement est en train aussi de mettre en place des mécanismes qui vont faire que ces fonds puissent vraiment bénéficier à la lutte contre la déforestation pour que la RDC puisse vraiment être efficace à réduire la déforestation... »

Ces organisations environnementales ont fait ce qu’elles ont pu. Stagiaire à la Radio Flambeau de l’Orient de l’Université de Kisangani et journaliste à la Radio Communautaire Mwangaza, Rachel Atilisomba, aujourd’hui enseignante observe un phénomène nouveau. Pour obtenir de l’alcool, très prisé dans la région, de plus en plus de paysans abandonnent la culture du manioc et du riz pour celle des cannes à sucre. Villages périphériques de la cité d’Isangi : Yakeleli, plus ou moins 7 km, Yabochanongo, Yamboyi.

L’alcool frelaté qui en résulte et la cherté des produits agricoles à Isangi pourraient interroger sur le travail abattu par OCEAN (Organisation Concertée des Ecologistes et Amis de la Nature) et la Coopération Technique Belge qui, à leur arrivée prônaient la réduction de la pauvreté par les nouvelles pratiques culturales.

Le boulevard fleuve Congo

C’est l’image que se font les chercheurs ayant travaillé dans le territoire d’Isangi. Dans une contrée sans route ou pas du tout, les cours d’eau font office de routes principales et secondaires. Kisangani et Kinshasa sont reliés au territoire par le fleuve Congo et ses affluents. Un chercheur biologiste qui a requis l’anonymat fait le constat d’une situation particulière dans le paysage de Yangambi. A travers un réseau de couloirs, des exploitants locaux utilisent des vélos et charrettes pour transporter des planches au bord des rivières et de là, au moyen des pirogues au bord du fleuve Congo, voire à Kisangani et à Yangambi où le besoin se fait de plus en plus sentir avec le développement de l’économie locale. Paolo Cerutti tire la sonnette d’alarme. L’autoroute fleuve Congo est à la fois une bénédiction et un problème pour le maintien des forêts à l’état.

« C’est l’histoire de l’humanité. Ici dans la carte vous ne voyez pas. Mais ici dedans il y a plein des rivières et toutes ces activités-là se développent à partir des rivières parce que les gens peuvent entrer avec la pirogue. Alors, vous vous dites : qu’est-ce qu’il faut faire ?  On prend les gens, on chasse tout ? Ce n’est même pas une recommandation que vous pouvez faire au gouvernement... »

L’autorité de l’Etat est le seul moyen d’éviter le cercle vicieux. On le craint. Depuis l’arrivée des gros projets, la cité de Yangambi connaît son premier groupe électrogène destiné au sciage et rabotage du bois. Contrairement à l’époque de l’INEAC où les habitants étaient exclusivement des employés, aujourd’hui, 60 ans après, avec le risque d’une population hétérogène croissante. On voit des clients particuliers pour la plupart s’approvisionner à la menuiserie pour le besoin de bistrots, maisons et boutiques toutes en bois. Demain peut-être plus qu’aujourd’hui à l’idée d’une vie meilleure, de plus en plus d’habitants pourraient avoir besoin du bois. Il n’y a que l’Etat congolais pour renforcer le statut de Réserve de la Biosphère de Yangambi, comme dans bien d’autres dans le pays. A la demande du bois d’œuvre pour la charpente, les meubles et la construction pourrait s’ajouter celle du charbon de bois. Des signes avant-coureurs sont déjà visibles sur le Beach de la cité de Yangambi.

Les organisations environnementales reconnaissent que c’est impossible de réduire de manière significative le déboisement sans que l’Etat réglemente le secteur. A Yangambi, l’agriculture itinérante sur brûlis s’est ralentie, à en croire les paysans et un capitaine de péniche ayant requis l’anonymat, qui se rappelle qu’à l’époque correspondant à l’arrivée de PRAPO (Projet de Réhabilitation Agricole dans la Tshopo), il pouvait charger jusqu’à milles sacs de paddy sur les gués de Yangambi. Il se plaint qu’à présent ce soit à peine 200 sacs. Comme lui, des commerçants témoignent avoir vu très peu de péniches, à défaut qu’une seule, qui accostaient un jour par semaine.

Ce qui reste à faire

Le littoral du fleuve Congo en danger. Il est permis de se demander si la lutte contre les changements climatiques prend en compte tous les facteurs de la déforestation. Attaché de recherche au CSB (Centre de Surveillance de la Biodiversité), master professionnel en aménagement de forêt et gestion de terroir et enseignant à la Faculté des Sciences de l’Université de Kisangani, Reddy Shutsha Ehata estime qu’il reste à faire sur les berges des cours d’eaux en territoire d’Isangi. A la hauteur du gué principal à Yanonge, l’érosion est en train de s’élargir vers la terre ferme et le long de la berge du fleuve. Pareil le long de la rive gauche aux environs immédiats de Yangambi. Pour l’attaché de recherche, il n’y a pas de doute. Les habitants installés au bord des cours d’eau coupent les arbres, ce qui provoque l’érosion :

 « Les berges des cours d’eau sont interdites d’exploitation même si l’on y trouve des grandes essences forestières. L’absence des arbres augmente la température ambiante. Ce qui fait fuir les êtres vivants dans l’eau.»

Pour autant qu’il se rappelle, en 21 ans d’expérience comme forestier, le reboisement se limite aux zones agricoles. Les berges sont laissées pour compte. Paolo Cerutti, directeur des FORETS 1 et 2 (Formation, Recherche et Environnement dans la Tshopo), fait observer que, faute de routes, le fleuve Congo reste la principale voie d’accès, comme une sorte d’autoroute. A mesure que se détériorent les routes d’intérêt national et provincial, de Kisangani à Banalia vers le nord, Isangi vers l’ouest, une bonne partie de 200 milles habitants du paysage de Yangambi s’agglutinent au bord  des cours d’eau qui entourent et traversent le paysage.

Bois de chauffe, charbon de bois, agriculture sur brûlis. A qui la faute ? Un chercheur de l’Université de Kisangani qui a requis l’anonymat croît avoir observé un phénomène pareil :  

« A travers des couloirs bien entretenus, des exploitants locaux acheminent le bois par charrettes ou par vélos au bord des rivières. De là, les pirogues acheminent la marchandise à Kisangani en remontant le fleuve Congo. »

Malgré la présence de l’INERA, l’agriculture itinérante sur brûlis se fait discrète à Yangambi et alentours immédiats. Par contre, le déboisement pour des raisons carbonisation s’accroît au loin de la part des paysans, pour la plupart des jeunes désœuvrés, certains devant nourrir leur famille, d’autres payer les études. Ajouté à cela, l’abattage des bêtes et l’exploitation artisanale du bois, à la fois frauduleuse et aux allures industrielles.

Alphonse Maindo, président de Tropenbos RDC, et Paolo Cerutti, chef de programme CIFOR en RDC, sont unanimes. Bien que leurs organisations s’engagent à refreiner la déforestation, il ne leurs appartient pas de faire le travail de l’Etat congolais. Selon Maindo, l’Etat a une part de responsabilité parce qu’il n’y a pas assez d’investissements dans les énergies renouvelables.

« Vous ne pouvez pas chasser l’obscurité d’une pièce. Il faut simplement introduire une lampe, la lumière et l’obscurité partira. Alors, si l’on veut que l’activité de carbonisation puisse diminuer ou puisse disparaître, il faut introduire des alternatives en termes d’accès à l’énergie. Si on introduit le gaz pour cuisson ou autre, etc. pour la lumière et tout ça et si on introduit l’hydroélectricité, tous ces problèmes-là seront résolus. »

En attendant, Maindo note quand même que de plus en plus de ménages sont en train d’utiliser l’énergie solaire pour recharger leur batterie, regarder la télé et pour avoir la lumière. Il espère aussi que l’usage du gaz naturel dans les provinces du Nord-Kivu et Sud-Kivu serve d’exemple dans la province de la Tshopo.

Education environnementale. Les discours interminables de la société civile montrent des limites. Le paysage de Yangambi continue à perdre la forêt. Cependant, quelque chose bouge déjà avec l’arrivé en août 2022 d’un programme de promotion de l’enseignement environnemental dans les écoles du primaire et du secondaire. Le Carrefour des enseignants du Bassin du Congo regroupe des enseignants de toutes branches confondues, physique, géographie histoire, français, civisme pour la cause. Pour le reste, la sensibilisation est toujours destinée aux grandes personnes. Tout compte fait, La question environnementale à l’école, mais ça reste embryonnaire, vraiment loin de l’exemple tanzanien où il existe un programme national d’éducation environnemental dans les écoles. Lors de l’atelier d’août 2022, les participants, constitués de directeurs et enseignements du primaire et secondaire, avaient recommandé des stratégies en rapport avec l’enseignement des changements climatiques et la protection des forêts tropicales, notamment :

« La recherche des branches de cours où on peut intégrer l’aspect environnemental ; l’utilisation des supports en couleur, dont la Bande Dessinée, des affiches, dépliants, vidéos ; dans le cadre du cours de travail manuel, l’initiation des écoliers à planter, entretenir et protéger les arbres en milieux scolaires ; élaborer un programme en rapport avec la protection des forêts, c’est-à-dire le rôle des arbres, les conséquences du déboisement et ses remèdes... »

Depuis 2014, le professeur Norbert Ngoyi Mwepu de la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education s’affaire à promouvoir l’éducation environnementale dans l’enseignement primaire et secondaire. Dans le cadre de l’IRECA/PEE (Innovations et Réformes Educatives au Congo et en Afrique/Programme de l’Education de l’Environnement/Ecologie), il organise des conférences axées sur la didactique et les sciences de la nature.

« Vu les maux qui rongent la nature, l’initiation à la protection de la nature ne suffit pas. Il faut aussi la contribution des écoles primaire et secondaire. Or, le programme national d’enseignement ne développe que l’esprit d’observation. Ce qui ne nous permet pas de résoudre de façon efficace les maux qui rongent la nature. »

L’engagement citoyen contre toute politisation, c’est ce à quoi devait aboutir la démarche de la Société civile. Ce n’est malheureusement pas beaucoup le cas. On l’a vu avec la tenue de la PréCOP27 à Yangambi en septembre 2022. Des jeunes instrumentalisés à la négation ont failli tout stopper là même où une usine d’électricité est en création et où près de 2 milles autochtones ont trouvé de l’emploi grâce aux organisations environnementales.

Date de dernière mise à jour : jeudi, 02 février 2023