ENCADRE. RDC, pays-solution aux changements climatiques

Paysage de Yangambi, l'Eldorado vert

On s’interroge. Et la réponse vient de deux personnes répondant aux reporters d’Euronews sur place. Pour Baudouin Michel, recteur IFA/ERAIF-UNESCO, la forêt du bassin du Congo est exceptionnelle :

«  Contrairement à ce qui se dit beaucoup, cette forêt n’est pas le deuxième poumon de la planète, mais le premier poumon de la planète, c’est la deuxième superficie, mais c’est la première capacité fixation de carbone. Pour beaucoup de raisons biologiques, historiques, on fixe plus de carbone aujourd’hui dans le bassin du Congo que dans le bassin d’Amazonie et que dans le bassin d’Indonésie. »

 L’ambassadeur de l’Union européenne, qui finance le projet FORETS en RDC, Jean-Marc Châtaigner parle d’un pays par où passe la solution majeure contre les changements climatiques:

« La RDC c’est notre plus grosse enveloppe en faveur de la préservation de la biodiversité en Afrique. La RDC est un pays solution. C’est un pays immense qui a une ressource forestière immense. C’est un facteur à la fois de développement pour les populations, mais c’est aussi un facteur pour la conservation de la planète. »

« On ne peut faire des recherches partout dans le Bassin du Congo. On choisit quand même un endroit qui le représente. » C’est comme si, par cette déclaration, ce jeune chercheur anonyme, évoque le caractère représentatif de la Réserve de Biosphère de Yangambi et l’intérêt que l’Union européenne porte à cette Réserve. La conviction de ce chercheur semble partagée par Nestor Luambua, jeune doctorant à l’Université de Kisangani et chef du laboratoire de biologie de bois. Il nous parle des visiteurs immortalisés dans des photos accrochées au mûr de la salle de microtomie, où se passe la coupe mince des échantillons :

« Là, nous avons Benjamin Toerambe, Secrétaire général de l’environnement en RDC. Ici, le docteur Hans Berckman du Musée royal de l’Afrique Centrale à Tervuren en Belgique... Là, un ministre belge... là, les ambassadeurs de l’Union européenne et de la Belgique... Là, l’ambassadrice de la Hollande. Ici, trois ministres congolais. Là, Eve Bazaiba, vice-premier ministre de l’environnement de la RDC. Enfin, l’ambassadeur de l’Allemagne. Disons que notre travail attire l’attention des autorités, de toutes les nationalités, signe d’un grand intérêt à la lutte contre la déforestation. C’est un travail qui va permettre à la longue de lister les espèces à croissance rapide. Ces espèces vont permettre de vite séquestrer le carbone dans le bois. »

Des scientifiques européens, américains et africains... Il ne se passe un mois que des gens du monde n’y débarquent. A l’issue de la 1ère conférence internationale sur la biodiversité dans le Bassin du Congo, en juin 2014 à Kisangani, en RDC, la centaine des participants est tombée amoureuse de la coquette perchée au bord du fleuve à plus de 430 mètres d’altitude dans la partie nord-ouest de la cuvette centrale. Depuis, l’engouement ne s’effrite point. Il y a ensuite Yangambi Trail 2018 avec la présence des ambassadeurs en RDC : Bart Ouvry de l’Union européenne et son épouse ; Antonio Pereira du Portugal et A. Travesedo, le Chargé d’Affaires ; Francesca Lanata, représentante du Jardin botanique Meise en Belgique. Tout compte fait à présent, une quinzaine d’organisations y a établi son quartier général.

La survie de l’humanité se joue en partie dans ce coin du pays, qui manque de tout. Démuni après le démantèlement de l’INEAC (Institut National pour l’Etude Agronomique au Congo belge) en 1962, deux ans après l’indépendance du Congo Kinshasa. Depuis, ce qui fut devenu INERA (Institut Nationale d’Etudes et de Recherches Agronomiques) reçut le coup de grâce lors des conflits armés. Ce qui n’entama qu’une partie des 25 milles ha de la réserve. Celle-ci étant traversée  par des cours d’eaux et ayant du sol bon pour faire les recherches. Ces facteurs font de cette portion de terre, perchée au bord du fleuve,  l’Eldorado des justiciers de la nature, qui viennent chercher la solution au réchauffement de la terre.

Au milieu des troubles et des violences qui avaient suivi la guerre civile, l’INERA perdit l’autorité si bien que les populations transformèrent le verger de 57 ha en champs, brûlant à tout va des pans entiers des terres. Comme on peut le voir au bord des rues et des sentiers, une bonne partie des parcelles agricoles ayant hébergé des cultures pérennes a été sauvagement convertie en champs itinérants sur brûlis. C’est le cas de Ngazi (palmier en swahili), cette vaste étendue au nord de la cité, connue pour ses noix charnues et dont la semence avait été exportée en Asie. Il y avait des plantations de café, d’hévéa... Les habitants pour la plupart des travailleurs de l’INEAC et leurs familles en tiraient beaucoup de bénéfices. Aujourd’hui, la cité repose sur un tas des ruines visibles à travers des égouts fissurés et bondés d’ordures, la route principale bardée de nids de poules. Malgré tout, se réjouit Guy-Venant, chef d’antenne horticole à l’INERA, il en est resté grand-chose :

« L’agroforesterie talus-arbres fruitiers est une première expérience. Au moins ici c’est un ancien verger depuis 1933. Les gros arbres que vous voyez là, ce sont les vestiges de ce verger. Il y a eu un laisser-aller pendant la guerre des années 90. L’espace a été transformé en champs de cultures sur brûlis. »

Jean-Paul Angonda est assistant médical à l’hôpital de référence de Yangambi. Depuis toujours, il organise des conférences pour éveiller les habitants à travailler pour leur bien-être. Il ne cesse de leur raconter l’importance de la terre en rappelant l’histoire des pionniers blancs.

« On raconte qu’avant 1923 des hommes chargés de matériels avaient remonté le fleuve à la recherche de l’on ne sait quoi. Une fois arrivés aux croisements de la rivière Lindi et du fleuve Congo, ils déployèrent leurs tentes. Depuis, ce qui n’était qu’une forêt dense devenait un endroit habitable, jusqu’à ce que l’on vit arriver de plus en plus de Blancs... »

Ces gens cherchaient « on ne sait quoi » en recrutant des autochtones pour la construction des villas et des bâtiments à étages dont les ruines sont visibles au large du fleuve. Squattés à souhait, le rez-de- chaussée héberge des familles de fonctionnaires ; l’étage des bureaux de l’administration locale. Le deuxième bâtiment, qui fut le magasin général, abrite un générateur diesel qui dessert la seule menuiserie de la cité. Le gérant y a installé son bureau dans le coin d’une pièce à côté bourrée de grosses vieilles machines corrodées, qui rappellent un garage des temps perdus. La troisième bâtisse a une cours entourée des compartiments, eux-mêmes surmontés par d’énormes tubes en fer comme on en voit dans des meules industrielles. Devant celui-ci, des mécaniciens se sont installés au service des taxis motos. Citant sa propre recherche, Jean-Paul explique :

 

 

 

« Au tout début, la population d’ici était composée de peu d’autochtones. La cité n’était habitée que par les travailleurs de l’INEAC et leur famille. L’administration de l’époque les recrutait sur un certain profil de partout dans la colonie. C’est ainsi qu’on trouve aujourd’hui une population hétérogène de tous les coins du pays. »

Il y a presque cent ans, la cité naquit d’une forêt vierge. Presque cent ans après, l’histoire semble se répéter à quelques différences près. « Yangambi est en ruine comme vous pouvez le constater. La réserve de Yangambi était la plus grande station de recherche tropicale du monde quand le pays était une colonie belge. « La cité est sans infrastructure et surtout sans possibilité de survie pour la population », avait déclaré Eve Bazaiba, vice-premier ministre de l’environnement congolais, le 5 septembre 2022, lors de la PréCop 27, le forum international et scientifique sur les forêts du bassin du Congo. La cité doit renaître de ses cendres. Des chercheurs venus du nord, du continent et du pays sont en train de répéter les mêmes gestes. Des années durant, on les voit en blouse blanche qui regardant constamment dans des microscopes, qui en godillots chargés d’objet en métal passant de forêt en forêt, qui haranguant les foules pour en appeler...

« à cultiver plusieurs fois au  même endroit sans brûler la forêt, domestiquer les abeilles, fabriquer du meuble en bambou, planter côté à côté manioc, arachide, riz, maïs et acacias ».

Devant une population résignée et abandonnée à elle-même, vivant soit grâce aux prêteurs sans scrupules. Par une pratique dite Banque Lambert, ceux-ci octroient des crédits remboursables à 50% d’intérêt. Le taux cumule à chaque dépassement de l’échéance. Soit des rarissimes champs itinérants sur brûlis. Tandis que les camps des employés se remplissaient d’enfants et petits-enfants, des constructions anarchiques poussaient sur les jachères abandonnées. Les maisons et les terres sont passées de pères à fils et de mères à filles. Presque grabataires, les employés survivants attendent désespérément la retraite en faisant louer les terres à des tiers.

Des bienfaiteurs ont défilé jusqu’à ce que vers les années 2014 surviennent une catégorie d’organisations environnementales uniques en leur genre. Il s’agit des représentations d’Enabel (Coopération technique belge) dans la cité d’Isangi, Tropenbos RDC à Yaoseko, CIFOR à Yangambi et Yanonge, Congoflux à Yangambi. Dans la cité de Yangambi, ces deux dernières ont une représentation beaucoup prononcée. On le voit à travers le camp Base Vie, nom consacré par le projet FORETS. Base Vie, le camp des travailleurs situé derrière la paroisse catholique Notre Dame de l’Assomption de Yangambi. Les villageois peuvent pour la première fois depuis plusieurs années vivre avec des employés venus d’ailleurs pour leur apprendre des choses. A voir le nombre de taxi motos qui connaissent ces endroits-là, on peut supposer que ses pensionnaires jouent un rôle dans l’économie des communautés locales.

Dans le temps, des projets étaient venus en aide aux populations. On s’interroge à présent ce qu’il est resté. La première moitié de la décennie avait été marquée par des projets aussi courts que limités en moyens et mis en œuvre d’une manière quelconque. L’arrivée des initiatives qui emploient à ces jours près de deux milles personnes doit avoir permis à la cité de se ranimer un peu, et cette reprise semble avoir développé particulièrement sur le beach le commerce des produits manufacturés, de la bière, du sel et du sucre. Le professeur Jean-Rémy Makana, directeur de LECAFOR (Laboratoire d’Ecologie et Aménagement Forestier), s’insurge contre les rumeurs selon lesquelles les communautés locales ne gagnent rien du tout :

« Ce n’est pas correct. D’abord, le fait de protéger ces forêts, c’est déjà un avantage pour elles qui vivent aux dépens des forêts. Généralement, les gens ne voient absolument pas cet avantage. Ils ne voient que l’argent comme si on allait manger l’argent. Le deuxième avantage, eh ! bien il y a l’argent. Les projets REDD arrivent avec des centaines de milliers de dollars pour appuyer l’agriculture durable, les activités alternatives génératrices de revenus. Après, il y’a l’emploi. Même si la plupart de ces organisations sont internationales comme ici la CIFOR, Enabel et toutes ces organisations belges, je pense qu’il y a beaucoup de bénéfices que les communautés locales et le pays dans l’ensemble tirent de toutes ces activités. »

A l’époque qui correspondait à l’arrivée de PRAPO, le capitaine d’une péniche se rappelle qu’on pouvait charger jusqu’à milles sacs de paddy sur les gués de Yangambi. Il se plaint à présent de charger à peine 200 sacs. Des commerçants témoignent avoir vu très peu de péniches, à défaut qu’une seule, qui accostaient un jour par semaine. L’arrivée des projets ces cinq dernières années semble avoir bougé les lignes, comme le témoigne Julien Liona, magasinier de l’unique menuiserie, installé au bord du fleuve au rez-de chaussée de ce qui fut le magasin de l’INEAC. Il nous reçoit dans son bureau fait d’un vieil ameublement, une table et trois chaises, dans un compartiment poussiéreux et plein des veilles machines inusitées. A côté, vrombit un générateur électrique. Un commerçant témoigne :

« Les embarcations pour la plupart des pirogues motorisées n’arrivaient que les dimanches. Ces derniers temps, on voit de plus en plus de péniches, mercredi et dimanche. A présent, nous en avons compté trois un mardi, une un vendredi et une le lendemain. »

Le marché de bourgade s’organise à l’intérieur de la cité, le Beach étant resté animé tous les jours de la semaine. Les revendeuses de toute chose s’entremêlent aux passagers des péniches, qui débarquent et embarquent en provenance et à destination des villes et cités riveraines en amont comme en aval du fleuve Congo. Ce qui bouge, c’est des boutiques en bois, plus grandes et achalandées qu’avant. Les boutiquiers sont parmi la grande clientèle de la menuiserie. D’autres personnes s’y servent pour le meuble et la charpente des maisons à domicile. Tout autant achalandés, des restaurants et bistrots de bière de brasserie font une bonne affaire.

De plus en plus de gens s’adonnent au petit commerce. Les témoignages ne manquent pas. C’est le cas de Dawisi Senga Lomalisa et Justine Fatuma. Avec l’argent qu’il gagne comme planteur forestier autochtone dans le projet FORETS, Dawisi s’est payé une machine à moudre le manioc et une à faire la pâte à chikwange qu’il a mis au service des maraichères dont sa propre mère, qui fabrique et vend des chikwanges, une sorte de pain de manioc écrasé, bouilli et empaqueté dans des feuilles de marantacée. La journée de visite prend fin chez Justine, observatrice en climatologie à l’INERA. En temps libre, elle fabrique du pain constitué à 80% de farine de froment et 20% de farine de manioc panifiable. Fai Collins travailleur pour CIFOR. Il est le responsable de la sensibilisation à Yanonge et Yangambi. Comme la plupart, il est domicilié à Base Vie. Il commande son pain à Justine Fatuma. « Avant, je devais faire la commande de Kisangani d’un lot conséquent qu’il fallait ensuite conserver au frigo », se réjouit-il. Désormais, Justine mélange la farine de froment avec de la farine de manioc panifiable produite à la ferme pilote.

La cité de Yangambi pourrait devenir la capitale du miel. Pour s’en convaincre, il suffit de voir comment se développe l’art d’élever les abeilles. En moins d’un an, la cité compte une Association des producteurs du miel de Yangambi (APROMY) dont la chaîne de production va de l’élevage à la table du consommateur. Après la formation et l’établissement à leur compte, les apiculteurs sont à même de conditionner du miel avant sa commercialisation grâce à la miellerie inaugurée le 27 octobre 2022. On consomme déjà du miel estampillé en région de Kisangani. La miellerie s’affirme comme l’étape finale d’un processus engagé entre l’organisation environnementale et une cinquantaine d’éleveurs d’abeilles.

Bref, on peut déjà s’imaginer ce que la cité de Yangambi dans le futur. Une entité avec plusieurs habitants, comprenant une centrale électrique, des commerces aussi diversifiés que florissants, un appareillage pour mesurer les échanges de la forêt avec l’atmosphère, une forêt à cent pour cent restaurée dans la mesure de ses vingt-cinq milles hectares. Il y aurait vraiment de quoi attirer du monde, si toute la vision se concrétisait, comme à l’époque immémoriale, en termes de verger, culture de palmiers, cacao, café, plus grand centre de recherche agronomique du pays, centre météorologique, plus grande institution supérieure d’enseignement en agronomie comme l’Institut Facultaire d’Agronomie de Yangambi...

 

L'agroforesterie à succès dans le paysage de Yangambi.

 

"En tout cas, la cité se développe. Cet endroit était réservé aux usines. Elles ne fonctionnent plus. Les autorités ont fini par autoriser le marché. Le projet FORETS contribue aussi au développement de Yangambi. L'apparition des motos rend le transport facile. Les péniches n'arrivaient que les dimanches. C'était plus des pirogues que de péniches. Trop peu de pirogues étaient motorisées. A présent, on voit beaucoup de péniches. Les véhicules n'arrivaient plus comme dans le temps à cause des mauvaises routes. Les voyages en pirogues étaient pénibles. A présent, les péniches arrivent le dimanche et le mercredi. Ca fait du bien."

(Julien Liona, magasinier au beach de Yangambi)

Date de dernière mise à jour : mardi, 17 janvier 2023